La démocratie participative renforcera la légitimité de l’UE.

European parliament hemicycle

L’Union européenne est aujourd’hui la plus grande expérience de gouvernance transnationale. Au départ, on pensait que la « porte dérobée » de l’intégration économique conduirait organiquement à l’unité politique, comme me l’a dit un jour Jacques Delors, l’un des principaux architectes du projet. Avec le temps, on s’attendait à ce que la souveraineté nationale cède inexorablement le pas à une gouvernance à l’échelle européenne.

Cela ne s’est pas produit. Au contraire, depuis la création de l’UE en 1993, nous avons assisté non seulement à une réticence nationale persistante, mais aussi à l’émergence d’un « déficit démocratique » entre les citoyens et les institutions dirigeantes de Bruxelles – le Conseil européen (composé des chefs des gouvernements nationaux), la Commission (l’organe exécutif, nommé par les États membres, qui prend l’initiative de la législation) et le Parlement européen (qui ne peut prendre l’initiative de la législation, mais sert à contrôler l’exécutif et adopte la législation).

Afin d’aborder la question de la faible légitimité de l’UE, une conférence sur l’avenir de l’Europe (COFE) a été organisée l’année dernière à l’initiative de Bruxelles. Entre autres objectifs, elle a cherché à réduire ce déficit démocratique par le biais d’une nouvelle expérience : inviter des « panels de citoyens » à travers le continent à participer à la définition de la voie à suivre.

Cette conférence s’est achevée le mois dernier sur des résultats mitigés et de grands doutes quant à la prise en compte des préoccupations exprimées par ces panels, ou assemblées de citoyens, par les pouvoirs en place.

Comme le rapporte Carsten Berg, qui a observé le processus pour Noema et l’Institut Berggruen, l’engagement des citoyens par le biais de la COFE s’est avéré être un exercice limité présentant divers défauts, mais constitue néanmoins un pas très significatif dans la bonne direction. Non seulement les citoyens ont été engagés de manière proactive, mais l’une de leurs principales recommandations était d’institutionnaliser des assemblées de citoyens permanentes, sélectionnées de manière aléatoire afin qu’elles soient représentatives de l’ensemble du corps politique, en tant qu’élément permanent de la gouvernance européenne qui s’ajouterait aux institutions de Bruxelles.

D’après l’œil sympathique mais critique de Berg, la manière dont les panels de citoyens ont été constitués et menés pour la conférence COFE n’était pas optimale.

Tout d’abord, le processus tronqué d’une année (au lieu des deux années initialement proposées avant le COVID) n’a pas fourni le temps et l’attention nécessaires à une délibération adéquate. Deuxièmement, le processus de sélection aléatoire n’a pas permis de recruter spécifiquement des groupes marginalisés et défavorisés et était trop enclin à l’auto-sélection. Troisièmement, la contribution des experts à la délibération des citoyens n’était pas suffisamment équilibrée pour garantir un large éventail de perspectives. Quatrièmement, le « cadrage des sujets » était trop large pour permettre aux citoyens d’approfondir des questions spécifiques. Enfin, il y a eu peu d’interaction entre les panels organisés au niveau national et ceux organisés au niveau européen, qui se sont déroulés en parallèle.

Malgré ces défauts, l’idée d’organes délibératifs de citoyens comme élément clé de la gouvernance démocratique a été testée sur une base transnationale et s’est avérée viable. Tous les problèmes signalés par Berg sont d’ordre technique et ont été pris en compte dans des assemblées de citoyens organisées avec succès ailleurs, de l’Irlande à l’Australie en passant par l’Ostbelgien.

Il reste à savoir si les institutions européennes donneront suite à la contribution des citoyens que le COFE a sollicitée, y compris les changements potentiels au traité qui sert de constitution à l’UE.

Il y a quelques signes prometteurs. Dans son résumé de l’expérience COFE, la vice-présidente de la Commission européenne en charge de l’engagement citoyen, Dubravka Suica, a déclaré : « Forte de ce succès, la Commission va permettre aux panels de citoyens de délibérer et de formuler des recommandations en amont de certaines propositions clés, dans le cadre de son processus d’élaboration des politiques au sens large. … Selon le sujet, il peut s’agir de panels paneuropéens ou de panels plus restreints et ciblés sur des questions politiques spécifiques. Comme ce fut le cas lors de la conférence, les participants devraient être choisis au hasard. Mais ils devraient également refléter la diversité et la démographie de l’Europe. »

Pour l’avenir, elle propose en outre que « les jeunes constituent un tiers des participants. Le cas échéant, un « rapport citoyen » sera intégré à l’analyse d’impact, résumant les résultats de ces processus participatifs et délibératifs. Lorsque tous les participants sont des jeunes, on parle alors d’un « test jeunesse ». Le premier de cette nouvelle génération de panels de citoyens sera lancé dans le cadre du discours sur l’état de l’Union de 2022. »

Démocratie directe + Délibération

Pour Berg, une façon de s’assurer que les voix des citoyens sont contraignantes dans la gouvernance européenne serait la démocratie directe. Il plaide depuis longtemps en faveur d’une initiative citoyenne européenne qui permettrait aux citoyens eux-mêmes d’élaborer des lois directement dans les urnes.

Comme le reconnaît Berg, cela pourrait résoudre un problème tout en créant potentiellement un autre. Là où des assemblées de citoyens ont eu lieu, elles sont généralement consultatives et non contraignantes ; là où la démocratie directe contraignante existe depuis longtemps dans certaines juridictions, comme en Californie, les bulletins de vote n’offrent pas de choix nuancés et la capacité institutionnelle de délibération des citoyens est faible.

L’arrangement idéal est une combinaison des deux. La Suisse, note Berg, est un exemple digne d’intérêt car la démocratie directe y est « intégrée dans un cadre institutionnel interactif ».

Dans cette nation alpine de 8,5 millions d’habitants, les signatures de qualification pour un référendum fédéral doivent atteindre certains seuils dans tous les cantons, et le champ des questions à trancher dans un scrutin donné est limité à un sujet qui ne peut violer les droits fondamentaux. Un conseil fédéral détermine quelle mesure qualifiée sera soumise à l’un des quatre scrutins annuels. Des informations impartiales sont fournies par des autorités électorales de confiance et les citoyens disposent de suffisamment de temps pour les examiner. Il est important de noter que les citoyens disposent d’options de vote. Ils peuvent voter par un simple « oui » ou « non » à la proposition, voter pour une contre-proposition parlementaire (s’il y en a une) et voter une préférence entre les deux en cas d’égalité.

L’appareil communautaire est lourd et fonctionne lentement. Mais, pour la première fois, il s’est délibérément ouvert à la contribution directe de ses 447 millions de citoyens au-delà des élections parlementaires. Il s’agit d’une reconnaissance du fait que la légitimité politique de l’UE ne pourra jamais être fermement établie par la « porte d’entrée » que lorsque les citoyens eux-mêmes s’engageront dans la construction de la maison européenne commune.

BY THE BERGGRUEN INSTITUTE

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